Une ONG congolaise a lancé la première campagne d'envergure contre l'enrôlement de plusieurs centaines d'enfants, dont beaucoup de filles, par des groupes armés sévissant dans le "triangle de la mort" dans le sud-est de la République démocratique du Congo.
Le Fonds de l'ONU pour l'enfance (Unicef) estime que "plus de 1.500 enfants sont actuellement utilisés dans les forces ou groupes armés au Katanga (sud-est de la RDC)" et que la proportion de filles est "particulièrement préoccupante". Dans toute la RDC, 4.500 enfants seraient enrôlés.
"Souvent, ce sont les enfants sortis des forces et groupes armés et qui rentrent dans leur communauté qui témoignent de la ruse que les groupes armés utilisent pour attirer les jeunes. Il n'y a que des cas rares d'association pleinement volontaire", confie Anna Paola Favero, une responsable de la protection de l'enfant à l'Unicef à Kinshasa.
Pour recruter, ajoute-t-elle, les groupes armés utilisent entre autres des "croyances traditionnelles et mythes qui font croire aux enfants qu'ils seraient invincibles aux balles" ou que ceux qui défendront leur communauté seront considérés comme des "héros et gagneront beaucoup d'argent".
Le +triangle de la mort+ se situe dans le Nord de la province minière du Katanga, plus pauvre que la partie Sud. Il est délimité par les localités de Manono, Mitwaba et Pweto, où deux principaux mouvements sont actifs: les Maï Maï de Kyungu Mutanga, alias "Gédéon", et les Maï Maï Kata-Katanga.
Jeune congolais, Paul a participé avec 39 autres enfants à une manifestation armée des Kata-Katanga le 23 mars à Lubumbashi, capitale du Katanga. Dans un entretien à l'agence d'information Syfia Grands Lacs, il explique avoir été recruté dans son village par des individus à la recherche de "jeunes non scolarisés".
"Ils disaient qu'ils allaient leur donner la formation des libérateurs des fils et filles du Katanga, raconte Paul. Comme je n'étais pas à l'école faute de moyens, j'y suis allé. Mon grand souci était d'étudier (...) mes parents étaient contents parce que c'était l'occasion pour moi d'avoir une formation."
"C'est quand je suis arrivé ici que j'ai réalisé que tout ce que nos chefs nous disaient n'était que mensonge, déplore Paul, qui n'a que 14 ans.
"C'est la mort qui nous attendait"
"C'est la mort qui nous attendait. (...) Moi, je n'irai plus jamais dans un groupe armé. Tout ce que je demande, c'est qu'on me fasse rentrer dans ma famille et qu'on me fasse étudier."
Le fléau de l'enrôlement des enfants par des groupes armés africains a été porté à l'écran dans le film culte français Johnny Mad Dog.
Le film dénonce la participation d'enfants, endoctrinés et sous cocaïne, à des affrontements particulièrement violents dans une guerre africaine, avant d'être lâchés à leur solitude d'enfants et d'assassins à la fois par des seigneurs de guerre sans scrupules.
Face à cette problématique qui perdure en RDC , l'ONG congolaise Action contre la pauvreté (ACP) a lancé une campagne qui vise 5.000 enfants et 30.000 personnes de cinq communautés.
Lancée le 1er avril, elle doit durer deux mois et il s'agit de la "première campagne de grande envergure" dans le "triangle de la mort", affirme Georges Kadinga, coordonateur général par intérim d'APC, qui pilote le projet.
Elle "se fait à travers les radios communautaires locales, par le biais des leaders d'opinion, par séances spéciales et en ciblant les familles qui ont les enfants dans les groupes armés", indique Georges Kadinga.
"Les leaders et les réseaux communautaires de protection de l'enfant (Recope) ont des échanges avec les groupes armés, à qui ils passent les messages plus appropriés", précise Anna Paola Favero.
Une méthode qui se veut dissuasive
La méthode se veut dissuasive en rappelant que le recrutement et l'enrôlement d'enfants soldats est un crime punissable par la Cour pénale internationale (CPI).
Fin mars, le général Bosco Ntaganda a d'ailleurs été transféré devant cette juridiction pour répondre d'accusations d'enrôlement d'enfants commis en province Orientale (Nord-Est).
En janvier, l'Association Congolaise pour l'Accès à la Justice (Acaj) avait accusé les Maï Maï, groupes armés locaux, d'enlever des mineurs pour attaquer la population et l'armée. Le gouverneur de la province, Moïse Katumbi, avait pour sa part appelé les habitants du Nord-Katanga à sensibiliser les jeunes à quitter les groupes armés.
Problème: l'accès aux groupes armés, et donc aux enfants, est difficile. Mais ceux libérés "seront encadrés à partir (...) du lieu de leur reddition jusqu'aux centres de transit et d'orientation organisés par l'Unicef avant de retourner dans leur ménage respectif", assure Georges Kadinga.
Pour l'heure, la campagne financée par l'Unicef, semble donner des résultats encourageants.