Un blanc éclatant. Le mur du bureau communal de Bishwange a été repeint, une antenne satellite repose sur la pelouse, un projecteur attend, les curieux se rassemblent.
C’est du jamais vu. Dans ce village du Masisi, à l’écart de la route qui mène de Goma à Bukavu en passant par Minova, les villageois se rassemblent. Pour la première fois, ils vont assister, en direct, à tous les matches de la Coupe d’Afrique des Nations, eux qui n’ont ni la télévision, ni l’électricité et qui suivent les grands évènements l’oreille collée au transistor. Le lieutenant colonel Fabien Dunia veille à ce que tout soit au point « ce soir, c’est l’équipe congolaise qui joue, tout le village sera présent… »
L’officier, la quarantaine musclée, porte comme ses hommes les insignes des para commando et sa taille est ceinte d’une corde. Par de petites actions comme la diffusion de la CAN, il entend gagner la confiance de la population locale. « C’est ainsi que je mets en pratique les enseignements des instructeurs belges : apprendre à se battre, mais aussi respecter les populations locales, vivre en bonne intelligence avec elles. »
Depuis 18 ans, la vie de Fabien Dunia se confond avec l’histoire du Congo. Il assure que, lorsqu’il regarde en arrière, les batailles défilent, et aussi les trahisons, les défaites, les espérances.
« J’avais 25 ans, et je terminais mon deuxième doctorat de médecine à Lubumbashi lorsque la vie du pays, comme la mienne, a basculé : Laurent Désiré Kabila originaire comme moi de Kalemié dans le nord du Katanga avait repris repris la lutte contre Mobutu. En février 1997, je me trouvais dans le stade de Lubumbashi lorsque Kabila assura qu’il lui fallait 100 000 hommes pour chasser Mobutu. Je n’ai pas hésité, je me suis engagé tout de suite. Il fallait que quelque chose change dans ce pays. Aujourd’hui, au bout d’une trentaine de batailles, alors que je ne suis même plus rentré au village pour saluer ma mère, je ne regrette rien… »
A chaque occasion, Dunia a participé aux formations militaires, entre autres en Angola. L’an dernier, parmi de nombreux candidats, il a été sélectionné pour suivre à Kindu les six mois d’entraînement proposés par les Belges qui ont formé le 321 et le 322e bataillon paracommando, des troupes d’élite, soit 1200 hommes au total. « Nos 50 instructeurs belges nous ont donné une formation physique dure, nous avons été préparés à affronter toutes les situations. Mais sur le plan moral aussi, nous avons été drillés, entraînés à nous mettre au service de la population, à ne pas profiter des civils… » Le 30 mars 2012, leur formation terminée depuis deux jours seulement, Dunia et ses hommes ont été envoyés sur le front du Kivu : la guerre avec le M23 venait de commencer.
Dans un premier temps, ces commandos, que tout le monde appelle désormais « les Belges » ont cru que la chance les accompagnait. Dans le Masisi, ils ont réussi à cerner Bosco Ntaganda, ce général tutsi qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la cour pénale internationale et que le président Kabila, mis sous forte pression, avait décidé d’arrêter. « Alors que nous les avions coincés, Bosco et les siens ont fui la ferme où ils étaient retranchés. Nous y avons retrouvé 30 tonnes d’armes et de munitions dont ils avaient été dotés pour combattre les rebelles hutus mais qu’ils avaient préféré stocker… »
Alors que les forces gouvernementales étaient à deux doigts d’arrêter Bosco, un ordre émanant du général Etumba, commandant en chef de l’armée, les surprit : il fallait observer cinq jours de cessez le feu. Ce délai permit à Bosco Ntaganda et à ses acolytes de fuir en direction de la frontière rwandaise en traversant le parc des Virunga.
Selon des militaires belges qui étaient en contact téléphonique avec leurs élèves, les militaires congolais ne leur cachaient pas leur frustration : « les mutins étaient dans la forêt, ils avaient abandonné leurs armes lourdes. Nous voulions même louer des bus pour les cueillir à leur sortie du parc des Virunga… »
Ici encore, des ordres contradictoires paralysèrent l’action des commandos qui se plaignirent à leurs amis: : « on nous a envoyé sur des collines où il n’y avait personne, où nous étions exposés aux tirs ennemis. Nous nous sommes retrouvés sans ravitaillement, sans munitions…. »
Aujourd’hui que le commandant en chef de l’armée de terre, le général Gabriel Amisi a été suspendu de ses fonctions et poursuit tranquillement son business à Kinshasa (il dirige un club de football, le Vita Club et possède même un avion qui se charge des approvisionnements militaires…) les langues se délient. «Lorsque les mutins se sont rapprochés de la frontière rwandaise, ils étaient moins de 600, en débandade, 300 d’entre eux s’étaient déjà rendus. Nous les avons vus revenir à 6000, bien équipés, dotés d’uniformes neufs… Tout avait changé… »
D’autres militaires relatent avec une amertume égale la chute de Bunagana, sur la frontière ougandaise : « nous avions combattu durant 72 heures, sans arrêter, nos hommes étaient fatigués. Alors que nous nous préparions à donner l’assaut, des militaires venus d’Ouganda ont surgi, nous coupant la route. Cinq cent soldats congolais ont ainsi été forcés de traverser la frontière ougandaise, et les a accusés, à tort, d’avoir fui !Dans le même temps, les unités rwandaises sont venues renforcer le M23… »
Plusieurs membres du bataillon le confirment : « les M23 avaient reçu de nouveaux uniformes qui se confondaient avec ceux de l’armée rwandaise. Scotché sur l’épaule, le drapeau du pays était amovible… »
Le lieutenant colonel Olivier Hamuli, porte parole de l’armée, était présent lui aussi lors de la débâcle finale et il martèle : « nos hommes n’ont pas démérité. Dans la nuit du 16 au 17 novembre, alors que notre bataillon « belge » se trouvait à Kibumba, il a été surpris par derrière. A 3 heures 20 du matin, des tirs ont éclaté. Leur précision démontrait que nos adversaires possédaient des instruments de visée nocturne, que nous ne possédons pas. Pas plus d’ailleurs que l’armée rwandaise. Mais cette dernière en a reçu en dotation alors qu’elle servait sous la bannière de l’Onu dans le Darfour… »
Une autre source militaire nous donne des précisions étranges : « la victoire de nos adversaires a été acquise grâce à leur puissance de feu supérieure : alors que nous nous battions avec des Kalachnikovs, ils nous ont attaqué avec des lance roquettes, des mitrailleuses lourdes. Il s’agissait d’unités vêtues de noir, que nous les appelions des « fantômes »…Par la suite, alors que nous étions en débandade, ces forces spéciales ont disparu et ont été remplacées par les M23 et leurs alliés… »
Les carences de la logistique ont fait le reste : « A Mpinga, où nous avions été attaqués par une véritable nuée de 3 à 400 Mai Mai (guerriers traditionnels) appartenant à la milice Sheka, aliée du M23, j’ai vu mourir 13 de mes hommes », dit le colonel Dunia, « parce qu’on n’a pas pu les évacuer à temps…” » Suivant la situation de loin, les Belges eux aussi enrageaient : « les FARDC n’avaient même pas mobilisé un hélicoptère qui aurait pu emmener les blessés, et les officiers ont du choisir : soit les dernières jeeps évacuaient les blessés, soit elles amenaient des munitions sur le front… »
Aujourd’hui cantonnés à Bishange, les deux bataillons paracommando pansent leurs plaies, blessures d’amour propre, épuisement physique. Ils comptent aussi leurs pertes, plus de 40 hommes dans chaque bataillon, essaient d’oublier les appels anonymes, les menaces dont ils ont fait l’objet, le pillage systématique de leurs maison à Goma, des manœuvres d’intimidation qu’ils attribuent à des mutins, passés –sans doute- à l’ennemi.
Depuis Kindu, leurs instructeurs belges les appellent régulièrement, s’inquiètent de leur moral. Ils veillent aussi, discrètement, à ce que les soldes soient versées -régulièrement-sur les comptes bancaires des épouses. A la différence des autres militaires congolais en effet, les commandos ne sont pas accompagnés de leur famille. « Pour combattre, c’est plus efficace » dit Dunia. Femmes et enfants sont donc restés à Kindu, et des lopins de terre leur ont été attribués. Même si elles ne sont plus détournées par les officiers, les soldes restent désespérément modestes : un officier ne gagne que 100 dollars par mois, dix fois moins que son homologue à Brazzaville…
A Bishange, où le 322e bataillon a planté ses tentes sur la colline, l’entente avec la population semble excellente. Le chef coutumier Wetemwami Kibale, grand chef des Bahunde locaux, tient à en apporter le témoignage : « bien souvent, nous nous sommes plaints des militaires, mais avec cette équipe ci, c’est différent. Voilà déjà quatre semaines que ces hommes sont ici et aucun incident ne m’a encore été rapporté. Ils achètent leur bois et leur nourriture, transportent tout eux-mêmes, la population ne subit aucune tracasserie… » Cantonnés au bord du lac, les commandos « belges » qui savent qu’un troisième bataillon est en cours de formation à Kindu et qu’un bataillon formé par les Américains a pris position à Goma ont retrouvé le moral. De loin, ils suivent les négociations politiques qui s’enlisent à Kampala, la proposition de la Monusco de déployer des drônes afin de surveiller la frontière entre le Rwanda et le Congo, les projets de déploiement d’une force africaine d’intervention.
Pour le colonel Fabien Dunia, c’est évident : « si la frontière rwandaise pouvait être verrouillée, nous ne redoutons pas le M23. En deux jours, nous pourrions en terminer avec cette rébellion… »
Les officiers ont gardé un goût amer de l’intégration d’anciens rebelles, mise en œuvre après les accords de 2009 : « nous nous sommes retrouvés à égalité avec des hommes qui avaient combattu pour le compte du Rwandan et recevaient des grades d’officiers. Mais ils savaient à peine écrire et ne connaissaient que le swahili et le kinyarwanda. Par contre, prenant le contrôle des sites miniers, ils sont devenus très riches… »
S’ils ne doutent pas de leurs propres capacités, -pour autant que les moyens suivent- les militaires congolais, en réalité, sont taraudés par un mal plus pernicieux : ils accusent le Rwanda d’avoir infiltré la hiérarchie de leur armée et d’être ainsi à même de contrer toutes leurs stratégies. La première tâche du nouveau commandant en chef de l’armée de terre, le général Olenga, fils d’un héros de l’indépendance, sera de restaurer la confiance au sein d’une armée humiliée, minée par la suspicion
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